Pêcheurs contre braconniers (1902)
Depuis la Révolution française et l’abolition des privilèges, le droit de pêche n’est plus un droit exclusif. Un décret du 28 novembre 1793 reconnaît « la liberté de pêche pour tous et sur tous les cours d’eau ». Mais, très vite, cette liberté totale entraîne un pillage des rivières et étangs. En conséquence, l’autorité publique doit assez rapidement encadrer et réglementer cette pratique. Dès le 4 mai 1802, une nouvelle loi redonne à l’Etat l’exclusivité du droit de pêche sur les rivières navigables et flottables, appartenant autrefois au Roi. Pour ce qui est des cours d’eau non navigable, en 1805, un avis du Conseil d’État confie la gestion de ce droit aux propriétaires riverains. Faisant suite à ces grands principes régissant le droit de pêche, la première grande loi encadrant la pêche fluviale est votée le 15 avril 1829. Elle réaffirme la liberté de pêche mais réglemente son usage avec notamment le développement de garde-pêches, l’interdiction de certains instruments de pêche et les premières réglementations sur la taille et les espèces capturées. A cette date, la pêche, comme loisir, est encore marginale. Il faut attendre les années 1870 et la Belle Epoque pour qu’elle prenne véritablement son essor, c’est le temps des sociétés de pêche et de la démocratisation.
C’est dans ce contexte qu’est fondée la Société des Pêcheurs à la Ligne de l’Arrondissement d’Aurillac, première du genre dans le département. Facilité par la nouvelle loi de 1901 sur les associations, cette création est une nécessité pour les pêcheurs : « Les associations de pêcheurs répondent au besoin inné de se grouper et de s’unir en vue d’un ou plusieurs buts communs, qu’un pêcheur isolé serait incapable d’atteindre : lutte contre le braconnage et la pollution des eaux, repeuplement des rivières dévastées, exercice en commun du droit de pêche dans les cours d’eau où la location de vastes étendues est très onéreuse. De ce besoin est née l’idée du groupement qui permet de mener tout cela à bien ; d’où la formation des sociétés de pêcheurs, qui ont vu le jour sur tous les coins du territoire national sillonnés par les cours d’eau[1] ». La naissance et la diffusion de ces sociétés va de pair avec une volonté de gérer les ressources piscicoles du pays. Pour Jean-François Malange[2]: « Les liens privilégiés entre pêche à la ligne et pisciculture ne font désormais plus de doute. La pisciculture est l’une des causes premières de la naissance et de la diffusion des sociétés de pêche à la ligne. […] En effet, le thème du dépeuplement des eaux douces et, plus largement, le souci de la gestion du milieu aquatique sont dans l’essence même des sociétés et en sont, par la même, l’une des causes ».
C’est bien cet objectif que poursuivent à leur tour les pêcheurs aurillacois. A l’initiative de M. Volmerange, inspecteur des Eaux et Forêts, une réunion préparatoire se déroule en mairie d’Aurillac le 19 janvier 1902[3]. Devant une assistance de 150 personnes, il souhaite que la future société lutte contre les empoisonneurs de rivière, offre des primes pour la répression du braconnage ou encore, encourage la pisciculture. Un bureau provisoire est nommé, chargé de rédiger les futurs statuts qui seront votés le dimanche suivant. Un fascicule de douze pages, présentant la composition administrative de la société, les 14 articles des statuts et des extraits des lois et règlements relatifs à la pêche fluviale est ainsi édité. L’article II énonce les principaux buts de la société : « 1° de concourir comme auxiliaire de l’Etat à l’assainissement et au repeuplement des rivières et ruisseaux ; 2° d’aider pour tous les moyens légaux à la répression du braconnage et en particulier de l’empoisonnement ; 3° d’étudier les préjudices causés à la pisciculture par l’utilisation agricole et industrielle des eaux ». Les débuts de la société aurillacoise sont prometteurs. Elle compte déjà 310 membres lors de la première assemblée générale du 13 avril 1902, lesquels se sont acquittés de 1200 francs de cotisations, dont la moitié sera reversée comme gratifications aux agents verbalisateurs.
En effet, la lutte contre le braconnage semble être une priorité. Les travaux de Germain Pouget démontrent qu’il est relativement fréquent à cette date dans la région d’Aurillac : « il existe des pêcheurs professionnels qui dévastent le Jordanne, qui est empoisonnée même dans la traversée d’Aurillac (juin 1906 et juillet 1914) ». En témoigne cet « Avis aux ménagères » qu’il relève dans la presse locale : « N’achetez pas de truites empoisonnées, car elles sont malsaines et peuvent, dans certains cas, provoquer des empoisonnements très graves. Soulevez les « oreillons » de la truite. La partie dentelée, appelée « ouïes » ou « branchies », doit être rouge ou rose vif. Dans le cas d’empoisonnement, les ouïes sont d’un blanc crème sale » (10 juillet 1904). Autre extrait d’un article du 21 juillet 1905 : « L’été dernier, une bande de ces pêcheurs endurcis - cinq habitués de la correctionnelle - mit méthodiquement la Cère en coupe réglée, d’Yolet à Lacapelle-Viescamp. La troupe se fixait dans un village qu’elle ne quittait - tout en descendant la cours de la rivière – que lorsque tous les gouffres et « gourgues » des environs étaient complètement dépeuplés. Des témoins affirment que plus d’un quintal de poissons était tous les jours détruit par ces messieurs, et vendu en ville par leurs femmes ». L’usage du poison, en particulier le chlore, et des explosifs, la dynamite, est des plus fréquents. Dans un article paru le 26 février 1902, Victor Lano, membre de la société, estime que « les rivières du département du Cantal, si poissonneuses autrefois, ont été soumises à un tel pillage que, dans la plupart d’entre elles, le poisson a presque disparu » avec pour mot d’ordre « Marchons contre l’ennemi commun : l’empoisonneur ».
Aucune étude sérieuse, quantitative ou qualitative, ne permet d’affirmer ou de contredire l’authenticité d’un tel dépeuplement des rivières à cette époque[4]. En revanche, comme en témoigne la création de cette société de pêche, les pêcheurs aurillacois semblent en être convaincus. Il ne se regroupent pas simplement par passion pour cette pratique mais bien par une volonté commune de protéger les cours d’eau et la ressource piscicole. Jean-François Malange estime « possible de parler de l’apparition d’une conscience écologique, hypothèse qui devra être confirmée ou infirmée par des travaux ultérieurs ».
Cotes ADC : 86 M 1 et 10 JOUR 31.
Texte rédigé par Nicolas Laparra.
[1] Guinot (R.), Les secrets de la pêche à la ligne. Suivi d’un traité d’un traité sur les devoirs des pêcheurs à la ligne, la formation d’une société de pêche, l’organisation d’un concours de pêche, Saint-Etienne, Manufacture française d’armes et cycles, 1929, p. 119.
[2] Malange (J.F.), Pêche à la ligne et gestion des ressources piscicoles, Université de Toulouse, Laboratoire Framespa
[3]Cote ADC : 76 J 77 (Fonds Germain Pouget).
[4] Malange (J.F.), Pêche à la ligne et gestion des ressources piscicoles, Université de Toulouse, Laboratoire Framespa
I
Visions d'une exploitation agricole de l'entre-deux-guerres en Planèze :
un bail à ferme singulier (1927)
Emanant du droit romain, le bail à ferme agricole est un contrat de location de terres et/ou de bâtiments par un propriétaire, appelé bailleur, à un exploitant, appelé preneur. Il en réglemente l’usage, pour une période donnée et à des conditions négociées, contre paiement d'un loyer, appelé fermage. Le loyer est fixe et contractualisé par le bail, à la différence du métayage dans lequel propriétaire et métayer se partagent les récoltes de l’année. Ce mode d’exploitation, presque disparu au Moyen Age, se développe peu à peu à partir des XVe et XVIe siècles. L’abolition du régime seigneurial à la Révolution, émancipe et renforce la propriété paysanne. La condition juridique du fermage est réglementée par le code civil de 1804. Le bail à ferme reste un contrat libre dont les règles sont fixées par la seule volonté des deux parties contractantes, bien que souvent tempérée par la coutume et l’usage. Il faudra attendre 1946 pour voir l’instauration, en France, d’un véritable statut du fermage et du métayage.
Le bail à ferme présenté ici est conclu le 23 mars 1927 par-devant Me Marcel Favardin, notaire à Saint-Flour, entre Alexis Bouniol, industriel à Paris, propriétaire bailleur, et les preneurs, Jean-Pierre Cros et Victorine Salaville. Ces derniers s’engagent solidairement pour une durée de trois ans, à compter du 25 décembre 1926, à exploiter « l’entier corps de domaine que M. Bouniol possède à Ternepessade commune de Saint-Flour », à l’exception toutefois de la maison de maître et de son jardin. Pour se faire, ils « sont tenus d’habiter par eux même avec leur famille et leurs domestiques le corps de ferme loué, qu’ils garniront de meubles, objets mobiliers, instruments aratoires, chevaux, bestiaux en suffisante quantité pour répondre du paiement exact du fermage ». Ils s’engagent aussi à entretenir l’ensemble des bâtiments, « afin de les rendre à l’expiration du bail dans l’état où ils les auront reçus » sans pour autant « pouvoir prétendre à aucune indemnité ni à aucune diminution de fermage ». Quant aux cultures, « ils seront tenus de bien et dûment labourer, fumer, cultiver et ensemencer les terres », « ils devront faucher les prés en temps et saisons convenables, les étaupiner, entretenir les canaux d’irrigation et rigoles ; fumer un tiers des prairies tous les ans ». En contrepartie, « ils auront droit à l’émondage des arbres du domaine », c’est-à-dire à l’usage du bois provenant de la taille des arbres. Ils pourront de même utiliser le bois et fagots nécessaires à leur chauffage. Le bail fixe aussi d’autres obligations ou interdictions quant à la sous-location éventuelle du fermage, à la répartition des impôts ou encore au droit de chasse, « expressément réservé » au bailleur. Viennent ensuite les « Réserves » ou redevances en nature dues par les preneurs : « deux litres de lait non écrémé par jour, une livre de beurre par semaine »…
Après l’énoncé des droits et obligations des contractants, Me Favardin établit un état des lieux très détaillé du domaine de Ternepessade. C’est une véritable mine d’informations, reflet de ce que pouvait être une exploitation agricole traditionnelle en Planèze durant l’entre-deux-guerres. Il distingue trois grands ensembles : le mobilier, le cheptel mort (ensemble du matériel agricole) et le cheptel vif (bétail). Le mobilier est assez sommaire : deux tables, quatre bancs, un fourneau avec marmites, un vaisselier et deux armoires… Comme prévu par le bail, il revient aux preneurs de meubler les lieux. On notera tout de même la présence d’un four à pain avec ses accessoires. Le cheptel mort est plus conséquent, on y trouve l’ensemble du matériel nécessaire à l’exploitation du domaine : échelles, tombereaux, chars, outils pour le ferrage, jougs, fourches, pelles, pioches, faucheuse, moissonneuse, charrues, brabant (charrue réversible), faux, herse… Si l’on peut y voir les débuts d’une mécanisation avec la faucheuse et la moissonneuse, la traction reste encore totalement animale. Le bail fait aussi état des grains, « soixante double-décalitres de seigle, trente double-décalitres d’avoine » et des fourrages, « quatorze meules de paille de quatorze quintaux chacune, un tas de foin de seize mètres cubes trente-deux centimètres-cubes » entreposés dans les granges.
Me Favardin s’attache ensuite à dépeindre très précisément l’état du cheptel vif de race Aubrac. Les bêtes sont décrites au centimètre près, preuve de leur valeur. A tel point que la description est même accompagnée d’un croquis précisant les zones utilisées pour la prise de mesures. Le cheptel se compose ainsi de « deux bœufs de trois ans, première qualité, l’un mesurant ; tour de cou : deux mètres cinq centimètres ; tour de poitrail : un mètre quatre-vingt-quinze centimètres ; milieu du ventre : deux mètres quinze centimètres ; tour des hanches : un mètre quatre-vingt-cinq centimètres ». Il y a aussi deux vaches de six ans « pour atteler », trois autres vaches et un taurillon de dix-huit mois, le tout décrit de la même manière. Il est spécifié que toutes les vaches sont pleines. La précision de la description du cheptel n’est pas anodine. A la fin du fermage, le fermier doit le restituer tel qu’il l’a pris en charge. C’est une source fréquente de conflits entre fermiers et propriétaires[1]. A partir des années 1920, pour éviter ces désaccords, plutôt que d’évaluer les animaux sur leur valeur financière fluctuante, l’habitude fut prise de les évaluer sur différents critères : âge, poids, taille, formes ou qualités laitières. A ce modeste cheptel, s’ajoutent « deux vaches laitières de douze à treize ans en bon état » et « trente-cinq poules et coq ».
La ferme de Ternepessade semble assez bien correspondre à une ferme moyenne de la Planèze des années 1920. La mécanisation est balbutiante sinon absente. La culture céréalière, en particulier du seigle, traditionnelle dans cette région du Cantal, est encore dominante. L’élevage semble demeurer au second plan avec quelques bovins pourvoyeurs de force de travail, de fumier et d’un peu de lait. Alfred Durand parle de ferme des « pays mixtes » par opposition au ferme des « pays pastoraux » pour lesquelles la production laitière, plus rentable, est devenue peu à peu prédominante au cours du XIXe siècle. Il y décrit une ferme moyenne comme entretenant 8 à 10 vaches pour une superficie de 20 à 25 ha. En 1938, il estime qu’une telle ferme peut produire un bénéfice de 12000 francs par an (10 000 francs de 1927)[2]. Le fermage demandé aux époux Cros en 1927 est de 8000 francs. Comme de tradition, il doit être payé en un seul terme à la Saint-Martin (11 novembre) de chaque année.
Cote ADC : 3 E 338/36. Texte rédigé par Nicolas Laparra
[1] La vie rurale dans les massifs volcaniques des Dores, du Cézallier, du Cantal et de l'Aubrac / par Alfred Durand, Aurillac : Imprimerie moderne, 1946. - Thèse Lettres Clermont-Ferrand : 1946
[2] D’après le convertisseur de l’INSEE : https://www.insee.fr/fr/information/2417794
I
"Epidémies en manuscrit"
Avec les progrès de la médecine, nos sociétés modernes auraient pu se penser à l’abri des grandes maladies infectieuses, considérées comme des fléaux d’un autre temps. L’épidémie de Covid-19 a démontré le contraire, remettant en cause ce sentiment d’immunité. Elle a ranimé dans la mémoire collective le souvenir des grandes épidémies de peste et autres fièvres, pour certaines encore inexpliquées. L’apparition des épidémies est inhérente au développement de l’humanité. Longtemps, elles n’ont existé que par leurs symptômes, restant subies sans être comprises. Les populations sont frappées par des maladies diverses, le plus fréquemment d’origine animale : tuberculose, lèpre, peste, typhus… Le développement des échanges favorise leur propagation, faisant de la mise en quarantaine le seul mode de prévention rationnel face à une mortalité effroyable. Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour que Robert Koch (1843-1910) puis Louis Pasteur (1822-1895) parviennent à démontrer l’existence d’agents infectieux.
Le document présenté ce mois-ci précède de quelques années cette révolution médicale. Il s’agit d’une « Bibliographie des maladies épidémiques, contagieuses et épizootiques » conservées par les Archives du Cantal. Elle provient de l’étude de Me Gizolme, notaire à Vic-sur-Cère dans la première moitié du XXe siècle. Nous ne disposons d’aucune autre information à son sujet. Elle est anonyme et n’est pas précisément datée. On peut toutefois légitimement penser qu’elle a été écrite au début du XIXe siècle. En effet, les textes ou évènements les plus récents auxquels l’auteur fait référence datent de l’année 1815. La tranche du registre porte la mention « Epidémies en manuscrit T° I », ce qui laisse à penser qu’il devait y avoir au moins deux tomes. La lecture du document confirme cette hypothèse. On y trouve une « Table générale de la classification des maladies » qui fait état d’une épidémie d’ophtalmie à Aurillac en 1746, décrite par un certain « Nobleville » et dont on peut lire la transcription sous la cote 828. Malheureusement, ce tome se termine par la cote 599 avec l’épidémie de fièvre scarlatine qui a touché Copenhague en 1787.
L’auteur de cette bibliographie, dont on ignore s’il était lui-même médecin, ou peut-être étudiant en médecine, a réalisé un remarquable travail de recherche. Ce document se présente, dans un premier temps, sous la forme d’une bibliographie classique avec une liste d’auteurs et d’ouvrages classés par maladies infectieuses. Elle ne compte pas moins de 73 pages relatives à la « peste », 7 pages et près de 150 ouvrages à elle seule, mais aussi aux « épidémies catarrhales », aux « fièvres malignes », aux « exanthèmes », « angynes » … A la suite de cette première bibliographie, on trouve plusieurs listes intitulées « Ouvrages à consulter », « Livres lus depuis mon retour », « livres consultés ». Puis on trouve une nouvelle bibliographie toujours classée par maladies. Au total, ce sont plusieurs milliers d’ouvrages de médecine qui sont ainsi référencés. Mais l’auteur ne s’est pas contenté de lister l’ensemble de ces ouvrages, il s’est aussi mis en demeure de transcrire les passages relatifs aux épidémies, compilant ainsi une sorte d’encyclopédie des maladies infectieuses. Par exemple, pour les « Fièvres bilieuses », il retranscrit un passage de l’ouvrage de De Herre sur l’épidémie de Spa (Belgique) en 1629, de Borelly sur celle de Pise (Italie) en 1648 ou encore de de Mattei sur celle de Genève (Suisse) en 1813. Chaque référence porte une cote qui permet ensuite de retrouver la transcription dans le registre. Il y a ainsi 1133 extraits relatant diverses épidémies, principalement européennes, entre le XIVe siècle et le début du XIXe siècle.
On trouve ainsi sous la cote 118, la relation d’une épidémie de dysenterie à Pleaux en 1765 par M. Dapeyron de Cheyssiol. « Cette épidémie due à des aliments corrompus commença dans le cœur de l’été […] sous beaucoup de formes, elle imitait la synoque, elle se transformait en fièvre continue putride, se déguisait en fièvre maligne et paraissait tantôt sous la forme de dysenterie blanche, tantôt sous celle du choléra morbus enlevant le malade du 3 au 7e jour et s’étendant parfois du 14 au 50e. Il est à remarquer que lorsque la maladie attaquait la tête et la poitrine, les intestins étaient moins affectés et de là le pronostic moins fâcheux. Ses symptômes les plus familiers étaient la face hippocratique, le grincement des dents, la langue aride noire, le hoquet, des vomissements énormes, de violentes douleurs à l’estomac, au bas ventre, des tranchées, des épreintes et le tenesme, déjections fréquentes muqueuses et sanguinolentes, syncopes fréquentes, le pouls petit […]. Il survient des exanthèmes, des pustules milliaires, des érysipèles. Souvent les gens les plus pauvres en furent les plus attaqués ». Le tableau clinique des différents symptômes, à la fois précis et détaillé, fait froid dans le dos. M. Dapeyron de Cheyssiol, dont on sait qu’il était médecin à Pleaux, ne peut toutefois se prononcer avec exactitude sur la maladie en cause. Il évoque la dysenterie mais aussi le choléra qui ont des symptômes assez proches. Ce sont deux maladies bactériennes qui se soignent désormais par des antibiotiques. En 1765, à défaut de pouvoir traiter la cause réelle de la maladie, les médecins essaient d’en réduire les effets même si les traitements proposés ne sont pas toujours des plus rassurants. « Les saignées furent bannies, les médecins du pays, dit l’auteur, n’eurent garde d’égorger leurs malades par des phlébotomies multipliées. Les vomitifs d’abord, ensuite les minératifs, les cardiaques et les calmants, le lectuaire de Cartame, le camphre et le quinquina étaient les seuls remèdes, les acides minéraux étaient mortels, les diaphorétiques inutiles, le Kermès à petite dose souvent réitérée, les sels, le scordium, la scorsonère et la salsepareille en boisson, les lavements, les ventouses sèches à l’ épigastre, aux régions ombilicales et hypogastriques furent d’un assez grand secours ainsi que les synapismes et les épispastiques. Cette épidémie dura tout l’été, l’automne et on en vit même les ravages dans le fort de l’hiver de 1766 ».
M. Dapeyron ne fait pas état du nombre de victimes. Toutefois, le registre paroissial de Pleaux semble garder la trace de cette épidémie . Alors qu’on compte en moyenne quatre à cinq actes de sépulture par mois sur l’année 1764 et les premiers mois de 1765, on ne dénombre pas moins de dix-neuf décès sur le seul mois d’octobre 1765, quinze entre le 11 et le 21 octobre, dont presque exclusivement de jeunes enfants.
Cotes ADC : 3 E 228/339
Texte rédigé par Nicolas Laparra
[1] ADC : 27 J 71
[1] ADC : 2 E 153/2
La nouvelle école normale mixte d'Aurillac :
une curieuse maquette (vers 1953)
Depuis quelques années, avec l’apparition de nouveaux supports et de nouveaux formats, la notion de document d’archive s’est véritablement enrichie. Les archives ne se limitent plus aux seuls papiers et parchemins. Et au même titre que les musées, les services d’archives ont aussi parfois à conserver des objets. Cette maquette de l’école normale d’Aurillac, issue des collections des Archives départementales du Cantal, en est un parfait exemple.
C’est en décembre 1831 qu’ouvre la première école normale d’instituteurs du Cantal, soit près de deux ans avant la loi Guizot du 28 juin 1833, qui rend leur création obligatoire dans chaque département. Curieusement, c’est à Salers qu’est créée cette première école, installée dans les locaux des anciens prêtres missionnaires qui viennent de quitter la ville. Les débuts sont difficiles puisqu’elle ne compte qu’un seul élève à son ouverture, accueilli dans des conditions plus que spartiates[1]. Et si le nombre d’élèves augmente peu à peu, les conditions de vie et d’enseignement demeurent très précaires. Surtout, l’école reste sous l’influence constante du clergé très présent à Salers et les tensions sont nombreuses. Son transfert à Aurillac est maintes fois réclamé au préfet. Et c’est en 1841 que l’école normale s’installe définitivement à Aurillac et, dès 1848, sur le site du château Saint-Etienne. Un siècle plus tard, le 1er octobre 1941, les écoles normales sont supprimées par le Gouvernement de Vichy. A la Libération, l’école normale de garçons ne retrouve pas son ancien site. Après un temps d’exil dans les départements limitrophes, les garçons sont hébergés au lycée Emile-Duclaux et les filles au lycée de jeunes filles Jules-Ferry.
Pour remédier à cette situation, par une délibération du 13 mai 1949, le conseil général décide la mise à l’étude d’un projet de construction d’une nouvelle école normale qui désormais sera mixte. En 1950, la préfecture du Cantal publie « un avis de concours entre architectes en vue de la construction d’une école mixte à Aurillac ». Les déclarations de candidature doivent parvenir pour le 15 novembre 1950. Les candidats doivent justifier de leur inscription à l’ordre des architectes, de leur nationalité française ainsi que d’un casier judiciaire vierge. Ils doivent en outre fournir une liste de références des principaux travaux exécutés sous leur direction ou en collaboration. Le concours se déroule en deux degrés. Les épreuves du premier degré consistent en la fourniture de plans, façades et coupe, d’une note sommaire présentant le projet, et d’un devis estimatif de la dépense totale. Elles sont anonymes, l’article 8 du règlement précise : « les diverses pièces de l’envoi ne porteront aucun nom mais seulement un signe distinctif qui sera reproduit sur une enveloppe cachetée, opaque sans en-tête […] et qui contiendra intérieurement le nom et l’adresse de l’auteur ». Le jury ne pourra retenir plus de cinq projets à l’issue de ces premières épreuves. Les candidats retenus devront « conserver les grandes lignes » de leur projet pour les épreuves du second degré tout en « développant l’esquisse fournie pour le 1er degré ». Il s’agit de présenter une série de plans plus détaillés accompagnés de devis descriptif et estimatif sommaires. Trente-sept projets sont ainsi admis à concourir.
Le 7 juin 1949, le conseil municipal d’Aurillac avait accepté de céder un terrain de 12 217 m2 au lieu-dit « prés de Limagne », à l’emplacement de l’actuel lycée Monnet-Mermoz. En zone inondable, il s’avère impropre à la construction. Le 18 octobre 1951 le conseil général abandonne le projet initial et opte pour la recherche d’un nouveau terrain. Les opérations du jury sont suspendues dans l’attente qu’une décision soit prise quant au futur emplacement de l’école. En décembre 1951, le choix est fait d’échanger un terrain appartenant à l’hospice, près du Stade Jean-Alric, contre une parcelle de l’hippodrome, propriété du département. Ce n’est que le 10 janvier 1952 que le jury arrête la liste des cinq projets retenus, identifiés d’après leur devise : « le bison », « veste rouge », « livre ouvert », « encrier » et « oui et non ». Le choix du terrain n’est toujours pas acté et le projet d’échange avec l’hospice abandonné. Le 10 février 1953, la commission départementale opte finalement pour l’achat d’un terrain dit du Roc Castanet. Le contrat de vente est signé le 21 juillet 1953. Après moult tergiversations, la future école normale retrouve son quartier d’origine à proximité du château Saint-Etienne.
Au terme des épreuves du deuxième degré, le jury finit par rendre son verdict le 22 octobre 1953, classant premier le projet de M. Aubert. Toutefois, suite à une requête de M. Hur, architecte classé second, le 14 avril 1954, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand annule la décision du jury pour excès de pouvoir. Il lui demande de « reprendre ses opérations dans les termes fixés par le règlement du concours ». Tout est à refaire. Le 5 juin 1954, compte tenu des dispositions de cet arrêté, le jury décide, « en prenant seulement en considération les pièces exigées par le règlement-programme du concours, à l’exclusion de tout autre document », de maintenir le classement initial. Malgré deux nouveaux recours de M. Hur, le projet est mis en adjudication le 26 avril 1955 pour un montant total de 166 337 730 francs. L’Ecole normale mixte est inaugurée le 19 janvier 1958, en même temps que le nouveau bâtiment des Archives départementales.
La maquette présentée porte l’inscription « Ecole normale mixte d’Aurillac » et il ne fait aucun doute qu’elle a été fabriquée dans le cadre de ce projet. Mais pour quel usage ? Cela reste un mystère. Elle pourrait avoir été utilisée dans le cadre du concours et semble porter un signe distinctif en forme de triangle noir accréditant cette thèse. Néanmoins, aucun document n’en fait mention et elle ne figure pas aux épreuves dudit concours. Elle semble avoir été construite après 1953 puisque le terrain figuré parait être celui du Roc Castanet mais ne correspond pas pour autant au projet définitif…
Cotes ADC : 3 SC 772, 2661 et 10459
[1] GARCIA (Michel), « L'Ecole normale d'instituteurs du Cantal au XIXe siècle. D'après un mémoire de maîtrise à la faculté des lettres et sciences humaines de Clermont-Ferrand, en juin 1971 », Revue de la Haute-Auvergne, 1971, pages 250-266.
https://archives.cantal.fr/nouvelle-pala-nouvelle-ecole-normale-mixte-daurillac--une-curieuse-maquette-vers-1953e
Texte rédigé par Nicolas Laparra
I
Noël sanglant à Boisset (1791)
Ce 25 décembre 1791, à trois heures du soir, les administrateurs du département du Cantal sont réunis en assemblée, lorsqu’une députation du comité militaire de la garde nationale d'Aurillac s’annonce. Un attentat vient d’être commis sur la personne de Pierre Dommergues, curé constitutionnel de Boisset : « dans le temps que ce curé célébrait la Messe, il a été atteint d'un coup de fusil lâché hors de l'enceinte de l'église[1] ». Pierre Dommergues naît à Lapeyrusse, commune d’Arpajon-sur-Cère, en 1756 ; il est ordonné prêtre du diocèse de Saint-Flour en 1782. Ouvert aux idées nouvelles, il n’hésite pas à prêter serment à la Constitution civile du clergé[2]. Cette dernière, adoptée par un décret de l'Assemblée nationale constituante, le 12 juillet 1790, réorganise complétement l’Eglise de France. Les biens de l’Eglise sont nationalisés, les évêques et curés sont désormais élus et deviennent des agents publics au service de l’Etat. S’opposent alors deux Eglises, un clergé dit constitutionnel, composé de clercs ayant prêtés serment, et un clergé dit réfractaire refusant de se soumettre à la Constitution civile. Les prêtres réfractaires ou « insermentés » sont très nombreux et la plupart prennent le parti de la contre-révolution, soutenus en cela par une frange de la population. Dans le département, les troubles sont fréquents, particulièrement dans la Châtaigneraie cantalienne où prêtres constitutionnels et prêtres réfractaires s’affrontent parfois violemment.
Suite à sa prestation de serment, Pierre Dommergues est nommé curé de la paroisse de Boisset par l’Assemblée électorale du district d’Aurillac le 2 mai 1791. Il entre assez rapidement en conflit avec l’abbé Rieu, prêtre réfractaire, l’empêchant de célébrer la messe en l’église paroissiale en lui refusant l’accès à la sacristie. Le 29 octobre 1791, les administrateurs du district d’Aurillac le rappellent à l’ordre, la loi du 13 mai 1791 stipulant que « le défaut de prestation de serment ne pourra être opposé à aucun prêtre se présentant dans une église paroissiale seulement pour y dire la messe[3] ». Les choses s’enveniment, jusqu’à cette nuit de Noël, où Pierre Dommergues est victime d’un coup de feu en pleine messe. Pour les représentants de l’assemblée départementale, l’origine de cet attentat ne fait aucun doute : « Un tel délit annonce qu’il existe dans cette paroisse un fanatisme outré qui pourrait se propager si l’on ne s’empressait d’en détruire la cause […] qu’on ne peut l’imputer qu’aux curés et vicaires non assermentés résidant dans leurs anciennes paroisses ou aux environs ». Considérant qu’il est « du devoir d’une assemblée administrative de rétablir l’ordre et la paix troublés », ils arrêtent : « qu’il sera nommé, parmi les membres, un commissaire, à l’effet de se transporter demain au lieu de Boisset, pour y prendre les informations les plus exactes, sur l’attentat commis la nuit dernière », « que ce commissaire sera assisté d’un détachement de cinquante hommes de la garde nationale d’Aurillac, de vingt-cinq hommes de la garde nationale d’Arpajon, et d’autres vingt-cinq hommes au plus, pris dans les gardes nationales des différentes communes qui sont sur la route » et « que les ci-devant curé et vicaire de la paroisse de Boisset, seront tenus de s’en éloigner provisoirement ». Une nouvelle députation de la garde nationale d’Aurillac informe alors l’assemblée que les gardes nationaux d’Arpajon se sont déjà rassemblés en nombre « dans le dessein de se rendre pendant la nuit en cette ville, et de se réunir à sa Garde Nationale, pour d’ici se transporter tous ensemble au lieu de Boisset ». L’Assemblée souhaitant éviter une escalade de violence, écrit immédiatement aux officiers municipaux d’Arpajon. Si elle remercie la garde nationale de son « zèle » et « accepte avec empressement son assistance », elle leur demande, avec la plus grande diplomatie, de n’envoyer que vingt-cinq hommes au plus « pour ne pas fatiguer inutilement nos braves frères d’armes et pour ne pas exposer le détachement à manquer de vivres[4] ».
Le représentant Lafont est nommé commissaire. Il part pour Boisset le 26 décembre, assisté d’une centaine d’hommes des gardes nationales d’Aurillac, Arpajon et de Saint-Mamet. A charge pour lui de tenter de « prendre des renseignements exacts sur l’attentat commis contre la personne du sieur Dommergues ». A son retour, le 28 décembre, il rapporte à l’assemblée départementale « qu’il n’était que trop vrai que le délit avait été commis ; que le sieur Curé était grièvement blessé au côté gauche ; que le Juge de Paix du canton de Maurs s’était rendu sur les lieux, pour dresser procès-verbal du délit et prendre les informations qui pourraient faire découvrir le coupable ; qu’on n’en avait encore acquis aucune connaissance légale ; mais que le bruit public seulement paraissait accuser le fanatisme d’avoir été la cause impulsive de cet attentat ; qu’au surplus la tranquillité était parfaitement rétablie dans la paroisse de Boisset[5] ». Il semble que l’auteur de cet attentat n’ait jamais été retrouvé, quoi qu'il en soit, les archives ne gardent aucune trace d’éventuelles suites judiciaires. Pierre Dommergues se remit de sa blessure, il dut quitter Boisset et fut nommé curé de Saint-Paul-des-Landes le 25 mars 1792. Son destin est toutefois peu commun. Au fil des mois, les tensions religieuses s’amplifient, les révolutionnaires adoptent plusieurs mesures de déchristianisation au profit du culte de la Raison et de l'Être suprême. Les prêtres doivent rendre leurs lettres de prêtrise et se « déprêtiser ». Pierre Dommergues s’y oppose publiquement. Dénoncé comme suspect, il choisit de fuir en Espagne. Il est arrêté peu avant la frontière par l’armée républicaine des Pyrénées-Orientales. Hasard incroyable, le représentant en mission à la tête de cette armée n’est autre que Jean-Baptiste Milhaud, député du Cantal à la Convention, et surtout compatriote et ami de Pierre Dommergues. Milhaud atteste de son civisme et rappelle les « persécutions de tous genres qu’il a éprouvées de la part des fanatiques, particulièrement en éprouvant un coup de feu de leur part pour avoir rempli les fonctions que la loi exigeait de lui ». Mais il ne se contente pas de le faire délivrer et le nomme par un arrêté en date du 30 thermidor an II, juge militaire auprès du Conseil de guerre. Quelques mois plus tard, Pierre Dommergues retourne dans le Cantal où il est nommé professeur de législation à l’Ecole centrale du département le 6 fructidor an IV[6].
Cotes ADC : L 20 et L 77
Texte rédigé par Nicolas Laparra
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[1] Cote ADC : L 20, page 351
[2] Pierre Dommergues. Curé constitutionnel par Marcel Dommergues, Revue de la Haute-Auvergne, 1945, pages 69-73
[3] Ibid
[4] Cote ADC : L 77
[5] Cote ADC : L 20, page 374
[6] Ibid
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